Jean Victor Alain Marie Madec, dit "l'Empereur", 3ème génération d'ostréiculteurs à partir de l'établissement ostréicole de Prat-ar-coum, créé en 1898, de bonne qualité, avec sa marque "les huîtres fines et grasses de Prat-ar-coum", mais limité dans son espace, l'Aber Benoît et l'Aber Wrach.
Né le 14 octobre 1923, ayant vécu une jeunesse dans l'odeur des huîtres plates, après avoir fait mes premières études scolaires à Lannilis, comme je me destinais à la médecine et à être le successeur de mon grand-père, docteur à Lannilis, je fis mes études au lycée de Brest pendant que mes frères Alain et Yvon se destinaient au commerce, et faisaient leurs études Alain à Brest dans le collège Saint Louis et Yvon au Likés à Quimper. Mon père mourut en 1938 et trois mois après mon frère Yvon. Puis la guerre survint, la défaite et l'occupation Allemande. Les études se poursuivaient cahin-caha dans cette atmoshpère sous une série continuelle de bombardements alliés, qui tentaient vainement de détruire les gros navires allemands Scharnorst et Gneisenau, au cours de leurs escales à Brest, et surtout la base des sous-marins, danger mortel pour les convois de ravitaillement venant des Etats-Unis vers la Grande Bretagne et l'URSS. Le lycée dut fermer son pensionnat et je dus continuer mes études au collège de Saint Pol de Léon comme pensionnaire, l'établissement à demi occupé par les troupes allemandes.
Puis vint la fin de mes études secondaires et ma mère, qui avait tenu debout et seule l'affaire ostréicole pendant la période d'occupation me demande, et elle l'espérait, de rester dans la société de fait, qu'elle créerait avec mon frère Alain. Mon frère Alain ayant fait des études de commerce resterait à Prat-ar-Coum et s'ocuperait des concessions ostréicoles des Abers, et moi je serais lâché dans la nature pour donner à la maison Madec de Prat-ar-Coum une autre dimension.
La maison de ma mère accolée à l'atelier ostréicole. 1945 | |
Carte des prix 1902 | |
La vieille équipe de mon enfance | Le progrès s'installe |
C’était en juillet 1942, et l’époque était très dangereuse pour les hommes, il y avait des rafles inopinées, et Vichy, sous les ordres des allemands, allait instituer le STO, le service du travail obligatoire en Allemagne. En aucun cas je ne l’aurais accepté. En effet, j’étais entré dans un mouvement de résistance en Octobre 1943, mais déjà en avril de cette même année, en accord avec ma mère, nous avions hébergé un aviateur Anglais, Peter Lefebvre, abattu de l’autre côté de l’Aber, pour le mettre à l’abri des recherches Allemandes très actives, avant de le remettre à la résistance de Lannilis.
Pour les besoins de l’affaire ostréicole, j’étais devenu en 1943 inscrit maritime, comme mon frère. Heureusement, car ainsi nous acquérions aux yeux des Allemands le statut de marins pêcheurs, chargés, par le produit de leur pêche, de participer à la nourriture de la population, et que nous devions chaque jour apporter au poissonnier de Lannilis, cependant, dès que nous avions un moment de libre, souvent ½ journée, nous aidions notre mère.
Chaque jour, à la sortie de l’Aber, arrêt devant la douane Allemande, fouille du bateau et de nous aussi, et au retour, de nouveau, fouille, contrôle de notre pêche, puis expédition de ces produits, pêchés aux filets et aux casiers, au poissonnier. Nous étions dans la zone côtière, dite Interdite.
Cela a duré jusqu’au débarquement des Alliés en France. Et alors j’attendais la réception de l’ordre de soulèvement général des F.F.I, ce fut le 6 août 1944. Immédiatement, avec mon baluchon sur le dos, je suis allé rejoindre mon groupe, et la nuit même nous avons coupé les gros câbles, blindés, enfouis sous terre, mais repérés, qui reliaient St Pabu à Brest, et qui par son radar prévenait de l’approche de tous mouvements aériens ou autres. Devenu inutile, St Pabu se rendit aux Américains peu de temps après, encerclé par les F.F.I.
Mais ce n’est pas fini, comme inscrit maritime, classe 1923, j’avais 30 mois de service militaire à accomplir, minorés de plusieurs mois pour résistance et réfractaire au STO. Je suis convoqué à la caserne de Cherbourg le 31/5/1945,
Défilé devant De Gaulle, sur les plages du débarquement. Je suis en tête du groupe des fusiliers marins. |
où j’accomplis mon devoir d’appelé et où je suis recruté par la D.G.E.R de Paris, étant donné mon passé de résistant. Je suis démobilisé le 2 février 1946 et rendu à ma mère, enfin et plein d’ardeur pour la suite ostréicole.
Pour créer notre établissement en rade de Morlaix, nous avions obtenu une concession maritime à l’abri de la pointe de Pen-al-Lan, des vents dominants, des fortes houles, à partir de laquelle nous devions créer de toute pièce des terre-pleins, des bâtiments de travail et des habitations etc. Concession à la limite des hautes mers et adossée à la falaise.
Le choix d’emplacement de l’établissement futur était motivé par la proximité immédiate du centre ostréicole de la baie de Morlaix, et de nos propres concessions actuelles et futures, malgré l’énormité des travaux à exécuter.
Ce fut mon premier défi !
A cette époque, notre concession jouxtait deux autres concessions dont les travaux qui n’étaient pas terminés ne nous laissaient pas le passage prévu. Il a fallu donc, pour ne pas retarder nos travaux, amener sur place des pierres par voie maritime d’abord, puis par voie terrestre. Pour cause de ciment rare, la guerre venait de se terminer et la France exangue, et le ciment rare, il a fallu faire des murs de maçonnerie en pierre. J’avais avec moi deux ouvriers venant de la maison mère de Prat-ar-Coum, nous logions dans le grenier d’un petit ostréiculteur voisin, et dormions sur la paille entassée, et mangions comme on pouvait, notre vie rythmée par les heures des marées, et chaque jour nous amenions par chaland le maximum de pierres près des limites du futur mur de soutènement. Cela dura environ 3 mois et ces pierres provenaient d’une île où les Allemands avaient construit des blockhaus et rejetaient dans la mer les pierres extraites des sites de construction. Puis au moyen d’un camion, nous récupérions à Pen-al-Lan près du futur chantier les pierres provenant encore des restes des sites de construction allemands. Le passage par nos voisins n’étant pas encore possible nous étions oblig és de balancer dans la grève ces pierres, à partir du chemin qui descendait vers la mer et dominait notre concession.
Quand les travaux de maçonnerie, commencés par la partie haute de la concession côté falaise avaient suffisamment avancé, une rampe d'accès à ma concession et une descente aménagée chez le voisin avec son accord ont permis le transport par camion de matériaux permettant l'aménagement d'un petit terre-plein, à l'intérieur de ma concession, nécessaire au stockage de tous les matériaux de construction.
Et alors tout a pu démarrer normalement.
Puis ce fut le tour du comblement à l’intérieur des murs de soutènement. Travail énorme.
Pendant ce temps, l’établissement de Prat-ar-Coum, destiné à l’expédition de toutes les huîtres venant de la Penzé, de Carantec, de Roscanvel et des Abers progressait de la même façon pour assurer la fourniture à tous les clients nouveaux que je créais au cours de voyages de prospection que je faisais, chaque début de saison, dans toute la France, clients de plus en plus nombreux et fidèles.
Quand la concession en eau profonde de la baie de Roscanvel entra en exploitation et la progression des établissements de Prat-ar-Coum et Carantec prenant de l’importance, les établissements Madec exploitaient environ 180 hectares.
Je crée en 1950 l'établissement de Carantec avec ses concessions en rade de Morlaix puis dans la rivière de la Penzé, côté Saint-Pol de Léon et Carantec.
Premier bâtiment construit en 1950, terre-plein comblé |
A force de perséverance l’établissement terminé comportait trois grands bâtiments, deux bassins sur grève l’un de 15m sur 15m, le second de 30m multiplié par 15, un quai pour l’accostage des bateaux, deux bassins surélevés de 10m par 4 chacun.
Vue partielle du chantier en 1970 (départ en pique-nique) |
Photo du chantier, le grand bassin et le quai d'embarquement et de débarquement pour les bateaux (1970) |
Une demande de concession commune avec mon frère, de 100 ha, en eau profonde a été posée en 1950 et cela n'a pas été sans mal. Après une année d'attente sans obtenir l'autorisation de concession, je me décide à demander un rendez-vous au secrétariat général de la marine marchande, place Fontenoy à Paris, chargé des affaires ostréicoles entre autres. J'obtiens le rendez-vous et l'ont me reçoit aimablement, l'on me dit que l'idée est excellente étant donné le manque de terrains découvrants qui freine la progression de l'ostréiculture mais que devant le tollé que cette demande a provoqué auprès de la population, politiquement et localement ce n'est pas possible de vous octroyer cette concession, avec ses regrets. Je lui dis que je m'étais renseigné pendant la période d'attente sur ce qui se passait localement près de la concession demandée. Un personnage local faisait courir le bruit que cette demande de concession incluait aussi les terrains découvrants, zone de petite pêche à pied pour les populations côtières. Ce qui était évidemment faux puisque la demande ne visait que des parcs en eau profonde.
J'avais appris aussi que des cahiers de réclamation étaient à la disposition du public dans un petit café pas loin de la concession en question, et que le vin rouge, le meilleur appât local, était à discrétion. Je le dis à mon interlocuteur et demande à voir les cahiers de réclamation, que l'on me montre immédiatement et dont les pages étaient toutes tachées de vin rouge. Monsieur le secrétaire général me dit immédiatement "La concession est à vous et vous pouvez entamer les travaux".
Je crée en 1951 le parc en eau profonde de 100 hectares au fond de la baie de Roscanvel, en rade de Brest. Je grée immédiatement une vieille gabarre au nom bien breton "Notre Dame du Perpétuel Secours", que nous appelions plus succintement le NDPS. Je fis mettre un treuil vertical BOPP et une drague, matériel provisoire mais qui me permettait de nettoyer les zones propices à l'ensemencement après en avoir vu le fond, (je n'avais pas encore de scaphandre) avec des "boîtes de calfat", boîtes à fond de verre, je me débrouillais.
Une première zone nettoyée est aussitôt ensemencée. Les résultats de qualité et de pousse des huîtres ensemencées sont excellents.
Pendant ce temps germe dans mon esprit la fabrication du "Squale", une nouvelle forme de bateau, cabine à l'avant, contrairement aux habitudes, libérant ainsi un espace important pour toutes les activités maritimes, la partie arrière du bateau.
Entre temps, j'étais entré en contact avec un Hollandais fabriquant de treuils à deux ou quatre tambours, matériel rodé et exploité pour le dragage des moules en eau profonde en Hollande, Monsieur Padmos, qui a ensuite été chargé de l'installation des treuils et des dragues sur tous les bateaux de l'exploitation, et en urgence sur le NDPS et le "Balaou" de Carantec, avec treuil à 2 tambours, 2 mâts de charge, 2 dragues hollandaises, et déjà cabine à l'avant, bateaux expérimentaux qui ont confirmé la justesse de mes pensées.
Ainsi équipé, le Balaou, de Carantec, venait aider le NDPS au nettoyage de la concession en eau profonde, pendant l'été.
En 1953, pour les besoins de cette concession, j'achète un scaphandre, le modèle phoque à volume constant,
étanche, à Cousteau-Cagnan dont je suis le premier client, bouteille n°31, les 30 premières étant des
bouteilles de présentation distribuées dans le monde entier. Ce scaphandre m'a permis, au cours de 25 ans de
plongée, de diriger les travaux en eau profonde aussi précisement que sur un parc découvrant. Apprenant que j’avais l’intention de plonger seul, les vendeurs, inquiets, me donnent rendez-vous à la piscine de l’Hôtel Lutétia, à Paris, pour une formation rapide, faire le tour de la piscine au fond, plusieurs fois avec "lâché d’embout" et reprise d’embout en maillot et bouteilles sur le dos, puis enfilade de la combinaison étanche, par le col, à la grande surprise des nageurs de la piscine, mêmes exercices et aussi garder son calme. Puis les vendeurs m’ont recommandé, arrivé en Bretagne, de compléter ces exercices et maîtriser son calme toujours.
C’est ainsi que le dimanche matin pendant plus d’un mois, mis dans ma combinaison étanche par deux de mes employés, pendant la durée d’air de mes bouteilles, je plongeais devant mon chantier. Et parfois des ostréiculteurs venant me proposer leurs huîtres, demandaient à me voir, mes employés leur disaient en riant "Voyez où sont les bulles d’air qui bouillonnent sur l’eau, il est là et encore pour tant de minutes"
J’étais prêt à plonger à Roscanvel, seul ou tracté.
Puis après les essais sur ces deux bateaux dragueurs, je crée, en 1955, aidé par le chantier Ernest
Sibiril de Carantec, le bateau idéal pour le travail en eau profonde, 15 mètres de long, cabine à l'avant sur
un pont de 55 mètres carrés posé sur une coque très marine, avec gouvernail compensé, moteur très nerveux,
barre très souple, un treuil à 4 tambours pour 4 mâts de charge et pour 4 dragues. Bateau très performant
"le Squale" adapté ensuite pour le dragage des concessions découvrantes avec "l'Espadon"
de 12 mètres et "l'Octopus" de 12 mètres puis "le Buzuk" plus petit, de 8 mètres,
destiné à la finition du dragage des concessions ce qui permettait quand la mer les découvrait peu de travail
pour libérer la concession. Une révolution, avec aussi l'emploi des piquets en Azobé indestructibles.
En effet résistant aux ennemis du bois dans la mer, les xylophages, en particulier les "tarets".
Ayant employé l’azobé pour la quille de mon bateau le Squale, j’en connaissais les qualités et les caractéristiques, bois plus lourd que l’eau,
car ses canaux sont remplis de sable, et le bois lui-même extrêmement compact, m’ont amené à l’idée de clôturer mes concessions ostréicoles au
moyen de piquets d’azobé rectilignes et durables, car résistant à tous les xylophages. Bois ne pouvant être travaillé qu’avec des outils pour
le fer, et quand on le coupe, comme pour le fer, les étincelles jaillissent. Tous mes bateaux avaient des quilles en azobé.
La photo jointe montre bien un barrage en piquets d’azobé, en haut d’une concession, les piquets sont plantés assez près les uns des autres
pour ne pas laisser les huîtres s’en aller en cas de tempête, mais éloignés aussi suffisamment pour ne pas créer autour d’eux de remous trop
violents, en cas de grande marée, où la mer se retire rapidement créant de fortes pressions sur le barrage et risquant sinon de déchausser les piquets.
Pour trouver un fournisseur de ces piquets, je me suis rendu au Havre où se trouve le plus gros importateur de bois africains. Je vais voir la direction et
j’expose mes besoins, je les vois tout de suite enthousiastes, car habitués à fournir de grandes longueurs d’azobé pour les besoins d’installations portuaires,
en particulier les "Ducs-d’Albe", il leur restait de nombreux morceaux dont ils ne savaient que faire. Je les en ai débarassé sous forme de piquets à un prix
extrêmement intéressant. J’étais leur premier client, je leur en ai acheté des milliers pour 1500 mètres environ de barrages, et après plus de 40 ans ils sont toujours là.
Auparavant, les concessions étaient clôturées avec des branches d’arbres de chataîgner, entre autres, plantées dans le sol, dont le nettoyage à la base était très difficile,
et dont la durée de vie était limitée.
Ci-dessous quatre photos qui démontrent comme dit plus haut dans le texte une révolution ! Tous les travaux lourds de relevage à la main, avec les aléas de marées qui ne descendent
pas suffisament et qui entraînent un manque de marchandises pour les établissements d’expédition, tout cela est effacé d’un coup par le bateau dragueur qui peut palier à tout
ces inconvénients, pouvant faire son travail tous les jours et amener directement au chantier une marchandise propre.
Avant |
Après |
Mes modèles de bateau ont été ensuite retrouvés en quantité en Bretagne et dans le monde entier comme l'attestent les reportages à la télévision.
L'accord de Prat-ar-Coum pour la construction du "Squale" ne se fit pas sans mal. Ma mère m'ayant fait savoir qu'ils n'étaient pas d'accord pour la construction du "Squale" pour la raison "de ne pas essuyer les plâtres", je lui donnais une demi-heure pour changer d'avis sinon je demandais la dissolution de la société de fait. Un quart d'heure après j'avais leur accord.
La pointe du Renard, 4 hectares 1/2 |
Ma mère meurt en 1962, notre lien.
La société de fait devenait de plus en plus puissante et harmonieuse et pour parfaire le tout, en 1965 je crée un établissement de captage de naissains d'huîtres plates en rivière du Faou dans la rade de Brest, sur 225.000 tuiles chaulées avec un fort rendement. Et en même temps est créé un établissement
futuriste "la Hatcherie" dont l'intitulé était le suivant : "Etablissement de
conditionnement sexuel et hors saison des huîtres Ostrea Edulis, avec production de larves et leur élevage
jusqu'à fixation, stade ultime". Ce laboratoire a été construit en 1967 après un stage à Milford dans le
Connecticut, invité par le professeur Loosanoff, inventeur de la mariculture, dans son laboratoire de biologie
marine. Ceci devait permettre à l'ostréiculture florissante à l'époque, et mon affaire en particulier, de
pallier un manque de naissains naturels. Opération réussie, ainsi que pour les palourdes. Mais le sujet est tellement vaste que je ne peux en donner que quelques éléments partiels, mais suffisants pour voir que pour travailler le "petit" et "l'infiniment petit", cela demande énormement de rigueur.
Tous ces efforts ont été détruits à la suite des deux maladies sur les huîtres plates qui ont anéanti
l'ostréiculture bretonne en 1980, la mer étant devenue porteuse des deux maladies, la martelia et la bonamia. En 2007, j'ai cédé à mon neveu Yvon Madec cet établissement.
Certains lecteurs s’étant étonnés de la sécheresse de ma démonstration ostréicole par rapport à celle de Nukutipipi, je vais décrire certains aspects du travail dans mon écloserie, ma "hatcherie". Mes installations ont été construites en 1967, au retour de mon stage dans le laboratoire de Milford, dans le Connecticut. Le principe de base est de recréer en milieu clos, et hors saison, les conditions de maturation sexuelle des coquillages, dans mon cas les huîtres plates, en priorité, et des palourdes accessoirement, une vivipare et une ovipare, et de produire de jeunes larves, de les élever et de les amener à leur transformation finale, petite huître ou petite palourde.
Il faut à la fois élever les futurs géniteurs dans une eau de mer amenée à une certaine température, et les nourrir de petites algues ou flagellées ou plantes. Dans mon cas, l’Isochrysis Galbana et la Cyclotella Nana.
Le docteur Loosanof avait défini que la bouche de la petite larve faisait en général 10 microns (10 millièmes de millimètre), et qu’il fallait élever, pour que l’absorption en soit facile, des algues de 5 microns environ. D’autres algues sont aussi produites pour d’autres besoins de l’écloserie. Le tout dans un univers stérile, ultraviolet, filtrations tous azimuts, car un ennemi puissant rode, les bactéries qui pouvaient anéantir nos efforts de réussite.
Mais ayant construit, quand j’avais 15 ans dans la maison de mes parents, un laboratoire, j’étais familiarisé avec les gestes d’un laboratoire et apte à mener, aidé par un employé très perméable aux idées nouvelles, cette aventure.
Elle commence quand il faut démarrer la production des algues à partir de "stocks inoculants", des souches, de quelques millilitres reçus au départ et gratuitement par le laboratoire de Millford et par avion, puis par Conway en Grande Bretagne. C’est la première épreuve. Préparation en laboratoire des produits de base dans une eau passée à l’autoclave, et dans ce mélange introduire au départ dans de petits flacons ou Erlenmeyers ce petit stock inoculants, en milieu absolument stérile, ultraviolet.
Pour expliquer le fonctionnement du pondoir à palourdes, et pourquoi pas de pondoir à huîtres plates « Ostrea Edulis » (qui ont donné leur nom au mot ostréiculture), c’est parce qu’elles sont vivipares-larvipares et comme tous les vivipares expulsent des produits finis, ici des larves après les avoir élevées près de 2 semaines dans leur coquille. Dans le laboratoire, je les laissais pondre naturellement leurs larves dans leur bac d’élevage et je les récupérais par filtration.
Par contre, les palourdes, comme tous les ovipares, expulsent dans la mer leurs produits sexuels, mâles et femelles, simultanément, quand les conditions sont réunies pour cela, et la fécondation de l’œuf se fait, malgré les courants qui les disséminent. Mais pour compenser ces pertes le grand ordonnateur a prévu des émissions de produits très importantes.
Revenons au pondoir à palourdes. Dans mon laboratoire, j’avais toujours un stock à différents stades de maturation sexuelle d’huîtres et de palourdes. Donc, pour les besoins de ma recherche j’avais toujours à ma disposition un stock très mûr sexuellement et qui, pour ne pas échapper à mon contrôle, vivait dans une eau de mer plus froide, empêchant le libération de leurs produits. Pour la palourde quand j’avais besoin d’œufs fécondés, et comme le montre la photo, dans des petits containers pyrex, contenant chacun une palourde sexuellement mûre dans une eau de mer parfaitement pure, et posés dans un bassin où une eau douce courante, de température de plus en plus élevée, amenait par le fait même le réchauffement de l’eau contenue dans les pyrex et provoquait, par ce choc thermique, la libération des produits génitaux des palourdes, surtout les mâles et peu des femelles, au départ.
Ne réagissant pas au choc thermique, on en arrive à celui de l’extrait sexuel. Dans les pyrex pleins de spermatozoïdes, et au moyen de pipettes, on en prenait une quantité assez importante, et faisant absorber par les palourdes, excitées par le choc thermique et filtrant énormément d'eau, le contenu de la pipette, l'expulsion des oeufs se faisaient aussitôt fécondés. Il arrivait parfois qu’une ou deux soient rétives, alors on recommencait l'opération jusqu'au résultat et qu’une, parfois aussi, mettant son siphon le long de sa coquille, par la force de son jet d’eau, se mettait à tourner sur elle-même, "une danseuse". Cela me faisait toujours rire.
Pour l’huître plate, pourtant acéphale (sans tête), on pourrait croire qu’elle en a une et bien faite, quand on voit comment se passe son système complet de reproduction.
Quand les huîtres mâles rejettent leurs spermatozoïdes dans la mer, et cela dépend, en juin et juillet, de plusieurs conditions, température de l’eau, orage etc, les huîtres femelles qui se nourrissent par filtration du plancton de la mer, ensemble microscopique d’algues et d’animalcules divers, y compris les spermatozoïdes, au lieu de les digérer comme le reste, les isolent, leur font monter le canal génital qui les amène où les œufs sont stockés, (1 million) et une fois fécondés les "accouchent" une première fois à l’intérieur de leur coquille où ils vivront 12 à 15 jours, le temps de devenir des larves adultes de 3/10e de millimètres et prêtes à être expulsées dans la mer.
Les consommateurs d’huîtres plates, l’été, se sont aperçus que parfois il y avait une sorte de lait blanc dans la coquille, c’est en fait une masse d’œufs fraîchement fécondés, puis au fur et à mesure de l’épaisseur de la coquilles des larves en formation, ce liquide devient de plus en plus épais et coloré, et le lait de gris clair passe au gris foncé et puis noir et ardoisé, souvent au mécontentement des consommateurs de l’été qui parlent alors d’huîtres vaseuses. C’est le signe que l’expulsion par l’huître est proche.
On pourrait croire que deux ou trois grosses expulsions suffiraient à rejeter dans la mer les larves adultes, pas du tout, l’Ostréa Edulis, bien qu’acéphale, va démontrer encore qu’elle fait les choses intelligemment. Elle lève au maximum sa valve du haut, fait en même temps en sorte que les lèvres de son manteau se rejoignent, haut et bas, enfermant ainsi un maximum d’eau. A ce stade, l’huître ouvre une petite fenêtre sur le bord d’un côté des lèvres jointes, et fermant violemment sa coquille éjecte un jet noir de larves, et déplaçe un peu sa fenêtre à chaque expulsion jusqu’à arriver à l’autre bout de ses lèvres jointes, et là, l’huître termine son travail d’expulsion de ses larves par 2 ou 3 chasses d’eau brutales, assurée, dans sa tête qu’elle n’a pas, d’avoir tout expulsé. Bravo !
Et alors, les larves, belles avec leur couronne de cils vibratiles, essaient de se diriger vers un endroit propice pour leur fixation, et ce malgré tous les dangers qui les entourent, les courants qui les entraînent, les poissons gourmands et sur les fonds marins de nombreux petits crabes ou autres.
Toute cette démonstration est succincte mais suffisante pour montrer au lecteur combien est grande la différence entre l’Ostréa Edulis et la Gryphéa ou huître creuse, si l'on connait le mode de reproduction des ovipares. Ceux-ci, quand leurs produits génitaux arrivent à maturité, les rejettent dans la mer où les oeufs sont fécondés et où leur vie larvaire s'y déroule entièrement. Vive l'Ostréa édulis !
Jeunes larves de 8 jours (gross. 115) | Huître de 4 ans |
Dans la nature le rendement est parfois faible, par contre, l’écloserie bien menée à partir d’huîtres résistantes aux maladies peut amener à la production de masse. Pour le processus par un homme comme moi, cela a été beaucoup moins simple, j'étais pionnier en la matière, mais après des échecs étudiés et compris, et une persévérance sans faille, la réussite est venue. Mais en 1968 et les années qui ont suivi, des maladies se sont installées dans la mer, la Martelia et la Bonamia et ont détruit la culture des huîtres plates, Ostrea Edulis. La première est une microsporidie, qui, s’en prenant au système digestif des huîtres, les amaigrissaient à un point tel qu’elles ne devenaient plus commercialisables, et je me rappelle en avoir fait enterrer 30 tonnes, apparemment superbes, mais maigres à un point tel que pour protéger ma marque "Prat-ar-Coum", je devais les détruire, de moi-même, puis les destructions ont été organisées officiellement pour toute la corporation. La seconde est un virus, qui a détruit mes 300 dernières tonnes, pourtant semées en eau profonde, sur ma concession dans la baie de Roscanvel, le meilleur endroit pour les préserver. En effet, l’eau profonde est l’habitat naturel de l’huître plate. Une concession en eau profonde est une concession que les marées ne découvrent jamais et où les produits ne peuvent être récupérés que par bateaux dragueurs.
Par précaution, je les surveillais régulièrement. Je me rappelle avoir vérifié en juin, tout était bien, les huîtres en pleine pousse, pas de mortalité, un mois plus tard, toutes les huîtres étaient mortes, baillant et laissant voir une chair superbe, que les crabes locaux ne dédaignaient pas.
Tout cela mêlé au naufrage, le 16 mars 1973, de l’Amoco Cadiz et ses 235000 tonnes de pétrole, événement qui a fermé mes établissements pendant près de 2 ans, avec destructions des huîtres contaminées, et perte de clientèle. Sans oublier une assurance très connue mondialement, qui, bien que réassurée de multiples fois, refusait d’honorer sa signature et de force a dû le faire.
Dure époque !
Labo avec autoclave, et appareil pour eau distillée etc | Erlenmeyers, flacons en pyrex, chargés des éléments nécessaires aux stocks inoculants | La fabrique des stocks inoculants de base, et leur multiplication |
Un container de 125 litres utilisable directement ou en stock inoculants pour bassins | Vue de la chaufferie, atelier, génératrice d'électricité ... | Echangeur de température pour eau de mer, et filtres à sable, 20 à 25 microns |
Conditionnement sexuel des huitres plates | Conditionnement sexuel des palourdes | Pondoir à palourdes par choc thermique et extrait sexuel |
Bacs d'élevage pour larves produites | Bacs d'algues, pour géniteurs | Bac d'algues en préparation comme stock inoculant, sous pression d'air filtré |
J’ai fermé à l’époque mon écloserie, en effet, pourquoi continuer à produire des petites huîtres condamnées d’avance. Il y a dans les lots d’huîtres des individus résistant aux maladies, et déjà en 1975, j’avais au cours d’une réunion générale proposé que chacun donne ses huîtres apparemment résistantes aux maladies pour en faire un banc naturel dans un milieu contrôlé. Refus de l’assemblée, poussée par l’administration du moment.
Mais cette idée de constituer un banc naturel au moyen d’huîtres résistantes a toujours sa valeur, et associée aux travaux des écloseries pourrait amener obligatoirement un renouveau de la race des huîtres plates.
Mais tout cela n’est pas au niveau d’un individu, j’ai donc quitté l’ostréiculture d’huîtres plates, déçu par l’immobilisme et des professionnels et de l’administration, et laissé la place aux "gryphées", appelées communément huîtres creuses.
Dans un autre ordre d'activité, pendant 20 ans le parc en eau profonde de Roscanvel a merveilleusement fonctionné, jusqu'en 1974, date à laquelle les dorades royales, croqueuses d'huîtres, ont mis mes stocks à mal. Catastrophe ! Après des essais divers de défense contre ces poissons j'ai fait construire 10 bruiteurs puissants associant bruits et fortes vibrations. Cela a marché, ouf il était temps.
Il ne faut pas oublier la SCOBN, Société Civile Ostréicole de Bretagne Nord, fondée en 1960 et destinée à exploiter une grande concession en eau profonde située sur le banc de Plougastel en rade de Brest. Cette concession que j'avais visitée quelques années auparavant en scaphandre fut mise en sommeil par l'administration, jusqu'au moment où les pêcheurs de la rade de Brest ont voulu, à mon exemple, faire la culture de l'huître plate en eau profonde. La surface fut alors partagée en deux. L'exploitation de la part des ostréiculteurs, ainsi que celle des pêcheurs par eux-mêmes, étaient la copie exacte de mon exploitation de Roscanvel.
La SCOBN ne put être fondée qu'après que j'aie convaincu les ostréiculteurs, peu habitués à l'idée de la culture des huîtres en eau profonde, et réticents, j'ai dû me démener pour les convaincre, leur donnant ma caution, l'exemple de mon parc en eau profonde de Roscanvel, le scaphandre qui permettait le contrôle, et le sérieux de ma réputation d'ostréiculteur. Plus de soixante adhérents sont venus conforter la SCOBN, dont je suis donc le père. Ils ne l'ont jamais regretté. Les résultats furent remarquables pendant plus de 20 ans, et rentables, mais vinrent les deux maladies sur les huîtres plates, le martelia et la bonamia. Et là, comme partout en Bretagne, ce fut la catastrophe.
Sur le plan commercial j'avais ajouté à ma vente en bourriches rondes et étiquettes rouges, la vente en barquettes plastiques préformées adaptée à la vente rapide dans les grandes et les petites surfaces, pour les huîtres plates de taille moyenne et petite. Bien serrées dans leur film rétractable et emballées dans un carton traité pouvant contenir 12 barquettes, ce fut un succès jusqu'à la disparition des huîtres plates.
Ainsi mourut mon affaire de culture et de vente d'huîtres plates, affaire glorieuse mais détruite comme celle de mes confrères.
Mais en 1968, mon frère décide de rompre la société de fait, inconséquemment, et en a subi immédiatement les conséquences, finies les fournitures, à la demande, des belles huîtres de la Penzé, bien calibrées, stabilisées et prêtes à l’expédition, finie la grande clientèle dont une grande partie avait été faite par moi et me restait fidèle.
Dépliant commercial personnel datant de 1968 |
En 1980, la "Bonamia" détruit les huîtres plates, et je dois me lancer dans la culture et l’expédition d’huîtres creuses japonaises, réfractaires aux maladies, pour maintenir mon affaire ostréicole en activité. Sans passion, je suis l’homme de l’Ostréa Edulis.
Mon affaire, confiée à une femme, depuis longtemps à mon service, bonne gestionnaire et autoritaire, continue à bien fonctionner, mais en 1985 je me décide à céder mon affaire à mon frère Alain pour qu’il puisse établir ses deux fils chacun dans sa propre affaire, et assurant ainsi la pérennité de l’association des mots Madec et Prat-ar-Coum.
Vous avez dû remarquer, que depuis le début de mon site, je dis "je", c’est ainsi. Ma mère, connaissant ma force de caractère et physique avait souhaité que je sois "lancé dans la nature", comme dit au début du site, pour donner à la Maison Madec de Prat-ar-Coum, une autre dimension, Mission Accomplie.
Peu passionné pour les huîtres creuses, je décidais une autre aventure de travail et je réussis à acquérir en Polynésie française, en 1980, un petit atoll désert perdu au milieu du Pacifique « Nukutipipi »
Mais ceci est une autre histoire...